?Je ne sais vraiment d'o? je tenais l'id?e que l'amour pouvait ?tre tout l'oeuvre et tout le sens de l'existence. Sans doute avais-je h?rit? de mon oncle ce manque total d'ambition. Peut-?tre aussi ai-je aim? trop t?t, trop jeune, de tout mon ?tre, et qu'il ne restait plus en moi de place pour rien d'autre.?

?Je savais ? pr?sent me moquer de mes exc?s d'exigence et de mes terreurs tyranniques ; je commen?ais ? comprendre qu'il faut savoir laisser, m?me ? sa raison de vivre, le droit de vous quitter de temps en temps, et m?me celui de vous tromper un peu avec la solitude, avec l'horizon et avec ces hautes plantes dont je ne connaissais pas le nom et qui perdaient leurs t?tes blanches au moindre coup de vent. Lorsqu'elle me quittait ainsi pour "se chercher" - il lui arrivait de passer en une seule journ?e de l'Ecole du Louvre ? Paris aux ?tudes de biologie en Angleterre -, je me sentais chass? de sa vie pour cause d'insignifiance. Je commen?ais cependant ? m'?veiller ? l'id?e qu'il ne suffisait pas d'aimer mais qu'il fallait aussi apprendre ? aimer, et me rappelai le conseil de mon oncle Ambroise, celui de "tenir fermement le bout de la ficelle pour emp?cher son cerf-volant d'aller se perdre dans la poursuite du bleu." Je r?vais trop haut et trop loin. Il me fallait accepter l'id?e que j'?tais seulement ma propre vie et pas celle de Lila. Jamais encore la notion de libert? ne m'?tait apparue aussi s?v?re, aussi exigeante et difficile.?

Romain Gary, Les cerfs-volants