J'?tais partie la veille de la canicule. De l'avion, les champs d?ss?ch?s faisaient comme des ?les sablonneuses autour du L?man. Je baignais dans un oc?an turquoise, calme et doux. A Montr?al l'air ?tait ti?de. Quand je descendue des nuages, j'ai eu le vertige pour la premi?re fois, moi qui ai grandi dans les vols longs courriers ; ce fut un long et secourable ?branlement, le s?isme de sa rencontre. J'ai retrouv? ce vertige quand j'ai bourr? ma bouche de m?dicaments, quand en me r?veillant malgr? tout j'ai vomi du sang.

Cela fera bient?t, dans quelques petites, filandreuses ann?es, dix ans. Quand je pressentais ne jamais oublier, quand je me r?p?tais une ligne de dialogue de Hable con ella, dix ans que je me souviens d'elle, disait-il, c'?tait quand m?me un peu abstrait. Je croyais laisser les mots d?passer mes obsessions, par complaisance, par ignorance. Je pouvais hausser le regard et me voir gamine, ?perdue, et j'attendais tout de m?me que jeunesse se passe. Et pourtant j'en serai bient?t rendue l? : comme dans les films, comme dans les livres, cela fera dix ans, j'ai d?j? l'?ge o? on entre dans l'oubli par l'action, je ne fais rien et je n'oublie pas. C'est une histoire qui ne tient qu'? moi. Je suis seule lectrice de ce r?cit-l?. Les mots restent des mots.
Bien s?r, le souvenir est devenu supportable, les d?tails de son visage s'estompent, ce parfum, m?lange de lessive et de peau, sur ses v?tements, s'?vanouit, l'irr?alit? floute les couleurs, mais le reste, tout le reste... Je serre encore le poing, quand une image aigu? traverse en d?charge ma t?te, la nuit. J'imagine ses rides nouvelles, je vois mes plis ? moi na?tre, se couler le long de mes sourires. Et puis c'est tout. Pas de lien. Pas de peut-?tre. Il vit et pas moi. Cette solitude pour toute certitude. Que faire de ma vie, toujours parall?le, toujours par d?faut ? Cette histoire sera la derni?re parce qu'elle fut la premi?re.